La liberté de circulation au sein des pays de l’Union européenne (UE) et de l’Association européenne de libre-échange (AELE) offre, en théorie, la possibilité aux employés résidant en Suisse d’exercer leur activité en télétravail depuis de nombreux pays européens.
Dans la pratique cependant, l’employeur doit s’informer dûment des conditions légales qui encadrent le télétravail d’un employé à l’étranger afin d’éviter des conséquences potentiellement indésirables. Il convient notamment de tenir compte des implications en matière de régime d’imposition, d’affiliation aux assurances sociales et des prestations qui en découlent, de protection des données, ainsi que les spécificités applicables aux travailleurs détachés.
Il est également recommandé de stipuler dans le contrat de travail quel droit du travail s’applique à la relation employé-employeur et dans quelle mesure le télétravail depuis l’étranger est envisageable.
Conditions d’imposition
Lorsqu’une personne employée et résidente en Suisse décide de travailler à distance depuis un État membre de l’UE ou de l’AELE, elle reste assujettie à l’impôt en Suisse, dans son canton et sa commune de résidence, à condition de ne pas passer plus de 183 jours d’affilée dans l’État hôte – jours non ouvrables et jours de congé compris.
Elle devra par ailleurs continuer de résider officiellement en Suisse et toucher la rémunération versée par son employeur installé en Suisse. Passé ce délai, l’État hôte a le droit d’imposer les revenus de l’employé séjournant sur son territoire en vertu de sa propre législation.
Pour les dirigeants d’une petite entreprise, le séjour prolongé – dont le seuil varie d’un pays à l’autre – dans un autre État peut entraîner une remise en cause du lieu d’installation effectif de la société. L’État hôte pourra considérer que l’entreprise exerce dans sa juridiction, ce qui peut engendrer des conséquences fiscales importantes, par exemple l’imposition d’une partie du bénéfice dans l’État hôte plutôt que dans l’État habituel de résidence. En revanche, ce cas de figure est pratiquement exclu dans le cas d’une grande entreprise.
Par ailleurs, le secrétariat d’État aux questions financières internationales recommande aux employeurs d’évaluer précisément chaque cas par des juristes experts de la fiscalité internationale avant d’autoriser le télétravail depuis l’étranger d’employés ou de cadres résidant et travaillant habituellement en Suisse.
Cotisations sociales
La Suisse, tout comme les États de l’UE et de l’AELE, participe au système européen de coordination des assurances sociales s’appliquant aux ressortissants suisses et des États de l’UE/AELE. En principe, concernant l’assujettissement, le règlement en vigueur prévoit que:
- l’employé n’est soumis qu’à un seul système de sécurité sociale, en règle générale celui de l’État sur le territoire duquel il travaille (règlement (CE) No 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004, art. 11, al. 1);
- l’employé qui réside habituellement en Suisse et y effectue au moins 25% de son temps de travail demeure assujetti aux assurances sociales suisse (règlement (CE) No 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004, art. 13);
- la part de 25% est, en général, déterminée au prorata du temps de travail total;
- le calcul s’effectue sur la base de la situation prévue pour la période des 12 mois à venir.
À noter que lorsqu'un employé se trouve dans une situation où les conditions d’affiliation aux assurances sociales suisses ne sont pas ou plus réunies, l'employeur suisse devra s’acquitter des cotisations sociales auprès de l’organe compétent à l’étranger. Il devra notamment connaître le montant des cotisations, l’organisation du système de sécurité sociale du pays en question afin de remplir ses obligations légales. Cela peut entraîner une charge de travail supplémentaire non négligeable.
Les cotisations sociales à l’étranger peuvent s’avérer plus élevées qu’en Suisse. Même involontaire, une affiliation non réglementaire peut entraîner de graves conséquences pour l’entreprise et l’employé.
Pour de plus amples informations, les employeurs peuvent faire appel à leurs caisses de compensations AVS, qui constituent l’entité compétente en matière d’assujettissement aux assurances sociales.
Chômage partiel
Le télétravail transfrontalier n’a a priori aucune incidence sur l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail (RHT), pour autant que les conditions habituelles soient remplies.
Dans le cas où le demandeur d’emploi relève de l’État hôte – c’est-à-dire lorsqu’il y a effectué une part substantielle de son temps de travail (plus de 75%) ou y a généré une partie substantielle de son revenu –, il est invité à s’inscrire auprès des institutions compétentes dans l’État hôte.
Reconnaissance de la cotisation chômage à l’étranger
Pour faire reconnaître ses périodes de cotisation effectuées en Suisse par l’État hôte, le demandeur d’emploi est tenu de s’adresser à la caisse de chômage suisse compétente (celle en charge de son dossier, le cas échéant, ou la caisse de son choix), via le formulaire PDU1.
Dans la mesure où les indemnités de chômage ne sont, en général, pas versées rétroactivement mais seulement à compter de la date d’inscription, il est recommandé de commander le formulaire assez tôt.
Selon le règlement européen en vigueur, l’institution en charge des prestations de chômage tient compte de l’ensemble des périodes de cotisations effectuées par le demandeur d’emploi, y compris celles réalisés dans un autre pays de l’UE, de l’AELE ou en Suisse (règlement (CE) No 883/2004 du parlement européen et du conseil du 29 avril 2004, art. 61, al. 1).
Indemnités en cas d’insolvabilité
Sous certaines conditions, l’employé licencié ou ayant mis fin à son contrat après mise en demeure de l’employeur pour non-versement des salaires, peut, en cas d’insolvabilité de son employeur, demander une indemnité à la caisse publique de chômage compétente. Pour autant que l’employé cotise au système d’assurance social suisse, le télétravail à l’étranger n’a aucune incidence sur les prestations d’indemnités en cas d’insolvabilité auxquelles il a droit.
En revanche, si l’employé exerce une part substantielle de son activité (généralement passé le seuil de 25%, voire 50% dans certains pays, voir nouvel accord), il est affilié au système d’assurances sociales local et les prestations offertes dépendent donc du pays hôte, selon la législation en vigueur dans ledit pays.
Responsabilités en matière de protection des données
En vertu de la nouvelle Loi sur la protection des données (nLPD), qui peut s’appliquer de manière extra-territoriale dès lors qu’un lien avec la Suisse est établi, il incombe à l’employeur d’assurer la protection et la sécurité des données qu’il héberge (entreprise, employés, clients, etc.) via des mesures techniques et organisationnelles adéquates. Dans le cas où un employé travaillerait à l’étranger, l’employeur demeure responsable de la sécurité de l’information et de la protection des données.
Dans cette optique, c’est à l’employeur que revient le devoir de mettre en place un logiciel suffisamment fiable et adapté aux besoins de son entreprise. Dans le cas du télétravail à l’étranger, le traitement de données confidentielles hébergées en Suisse ne peut se faire qu’à travers une connexion sécurisée en réseau privé virtuel (VPN). Par ailleurs, il est attendu de l’employé qu’il ne divulgue ou ne rende accessible aucune donnée confidentielle lors de son séjour à l’étranger. Tant que ces principes sont respectés, le traitement des données dans le cadre du télétravail n’est pas considéré comme une communication transfrontalière et, par conséquent, le droit applicable reste le même que ce qu’il serait dans le cas d’un traitement de données effectués dans les locaux de l’entreprise en Suisse.
La législation en vigueur ne prévoit pas de sanctions pénales en cas de faute par négligence. Toutefois, les fautes intentionnelles peuvent faire l’objet d’une procédure pénale pouvant donner lieu à une amende allant jusqu’à 250’000 francs, en principe à l’encontre de la personne physique responsable. En sus, toute violation de la loi peut entraîner des procédures de droit public et privé.
Application des droits suisse et européen en matière de protection des données
La nLPD s’applique de manière extra-territoriale dès lors que les données traitées concernent des personnes ou des entreprises basées ou travaillant en Suisse.
Les entreprises suisses et les organes fédéraux sont en principe soumis au droit suisse et doivent par conséquent respecter la nLPD. Dans certains cas, le droit européen (Règlement général sur la protection des données, RGPD) peut également être applicable, notamment concernant les données des personnes physiques traitées sur le territoire de l’Union européenne (UE), indépendamment de leur nationalité ou de leur lieu de résidence.
Si les personnes concernées par le traitement de données se trouvent sur le territoire de l’UE, le RGPD est applicable. Le fait que la personne responsable du traitement (la personne en télétravail) se trouve ou non sur le territoire de l’UE, ou que son contrat de travail soit ou non régi par le droit suisse, ne modifie pas la situation légale dans ce cas.
Toutefois, le RGPD ne s’applique en principe pas au traitement des données de personnes résidant en Suisse par des entreprises suisses, même dans le cas où ce traitement s’effectue - du fait du télétravail - sur le territoire de l’UE.
En d’autres termes, le télétravail depuis l’UE d’un employé dont le poste de travail est habituellement situé en Suisse ne constitue pas, pour l’heure, un critère suffisant d’application du RGPD en soi.
Droit du travail
Dans le cas de séjour prolongé à l’étranger, il est vivement recommandé de préciser explicitement quel droit du travail s’applique. En l’absence de mention du droit du travail applicable dans le contrat, si une part importante du travail est effectuée à l’étranger, l’application du droit du travail suisse peut être remise en cause.
Toutefois, en cas de mention explicite du droit du travail applicable, celui-ci s’appliquera également aux employés en télétravail à l’étranger.