Comment définir une stratégie efficace pour implémenter des outils d’intelligence artificielle au sein de sa PME? Comment optimiser l’utilisation de ces technologies et se prémunir des risques qui y sont liés? Avis d’experts.

L’IA peut transformer des pans entiers de l’activité d’une entreprise: en analysant de grandes quantités de données, elle permet d’améliorer les études de marché, de personnaliser la relation client, mais aussi d’optimiser des processus de production ou de recrutements.
Malgré de grandes ambitions dans le domaine, les PME suisses peinent toutefois à intégrer ces outils dans leurs stratégies afin de garantir une mise en œuvre efficace. C’est ce que montre une étude publiée en 2024 par la Haute école de gestion (HEG) de Genève, en collaboration avec l’entreprise Oracle et le cabinet Colombus Consulting. Comment procéder au mieux? Comment encadrer l’utilisation des IA génératives notamment? Comment s'assurer que les employés s’approprient ces technologies sans crainte? Deux experts livrent leurs conseils.
Identifier les cas d’usage
Afin de garantir la valeur ajoutée des outils d’IA au sein de sa société, il convient, dans un premier temps, d'en déterminer précisément l’utilisation. "Le terme ‘IA’ regroupe une grande panoplie d’outils, et les plus populaires ne sont pas nécessairement les plus adaptés aux besoins de l’entreprise", explique Alexandre Caboussat, professeur à la HEG de Genève et co-auteur de l’étude sur l’utilisation de l’IA en Suisse parue en 2024. Les systèmes d’IA générative comme ChatGPT, DeepSeek, Perplexity ou Dall-E constituent de puissantes solutions en matière d’aide à la rédaction de textes ou d’automatisation de certains aspects du service client. Mais leur fonctionnement requiert une puissance de calcul élevée, et leur portée reste souvent générale. Des IA plus simples, conçues pour des usages spécifiques ou entrainées avec les données de l’entreprise peuvent ainsi se révéler bien plus efficaces. Dans l’industrie, des systèmes d’IA dits "à mémoire limitée" comme ceux développés par le projet Bonsai de Microsoft, ou les capteurs Keyence, se basent sur des milliers de photographies prisent à la fin de la chaîne de production, et permettent par exemple d’identifier rapidement des produits défectueux lors d’un contrôle qualité.
Effectuer un état des lieux
En amont de l’implémentation, l’entreprise doit s’assurer que ses données soient compatibles avec les outils qu’elle souhaite utiliser. En fonction de l'usage et du type d'IA choisi, les exigences ne sont en effet pas les mêmes. "Il est parfois nécessaire d’adapter les processus afin que les données soient systématiquement générées dans un format exploitable par l’intelligence artificielle", poursuit Mascha Kurpicz-Briki, professeure en informatique à la Haute école spécialisée bernoise (BFH). Par ailleurs, lorsque les données sont très spécifiques à un secteur ou à un métier, il vaut souvent mieux les traiter à l’interne plutôt que de déléguer cette tâche à des entreprises externes. C’est le cas par exemple dans le domaine de la santé, où l’interprétation d’IRM nécessite une expertise clinique pointue, ou dans l’horlogerie où l’analyse d’images haute résolution de composants repose sur des critères de qualité propres à chaque société.
Définir un cadre
"Passé l’enthousiasme des débuts, l’usage de l’IA devient aujourd’hui plus réfléchi, mais aussi plus critique", explique Alexandre Caboussat. L’expert conseille aux entreprises de poser un cadre concernant les possibilités, mais aussi les limites dans lesquelles les nouveaux outils pourront être utilisés, tout en accompagnant leur intégration auprès des collaborateurs dès les premières étapes. Cette démarche présente aussi l’avantage de réduire, chez les employés les plus réticents, la crainte d’être remplacés par une machine, tout en permettant de clarifier l’utilisation des différents outils.
Former les équipes
"Les employés doivent comprendre les principes fondamentaux du machine learning. Les systèmes d’IA génératives présentent en effet divers types de risques liés à leur mode de fonctionnement, tels que la génération d’informations erronées (qu’on appelle "hallucinations" dans le cas des chatbots), la reproduction, voire le renforcement de stéréotypes sociaux. Il s’agit donc de leur permettre de les repérer", avertit Mascha Kurpicz-Briki. Différentes institutions suisses comme la HES-SO, l’Université de Genève, ou des entreprises privées comme Lumind ou MCJS proposent des programmes de formation à destination des équipes des entreprises.
Mesurer l’impact
Une fois l'IA intégrée, il s’agit d'en évaluer l'impact, à la fois en matière de retour sur investissement et de création de valeur. Une métrique toutefois difficile à quantifier: "La perception de l’utilité et de la rentabilité dépend du cas d’usage. Il est donc délicat de proposer une solution toute faite. D'autant qu'il peut être compliqué pour les PME de rester à jour, car la technologie évolue très rapidement", dit Mascha Kurpicz-Briki. Là encore, des partenariats avec le monde académique peuvent aider à relever ce défi. Le Generative AI Lab de la BFH propose par exemple des études de faisabilité. L’objectif consiste à analyser les données et les processus d’une PME afin d’identifier les domaines où l’utilisation de l’IA peut encore être optimisée.
Définir les cas d'application de l’IA, tout en s’assurant de disposer d’une base de données compatible avec les outils choisis et d’un cadre d’utilisation clair pour les employés, tels sont les points de départ d’une mise en œuvre efficace de l’intelligence artificielle au sein des entreprises. Afin de garantir un usage sûr et optimal, il s’agira ensuite d’instaurer des formations ciblées destinées au personnel, ainsi que d’évaluer constamment les performances réalisées grâce à ces outils. Ainsi, l’IA peut se révéler extrêmement pertinente, et contribuer à la création de valeur, ce même dans un environnement très dynamique comme celui des petites et moyennes entreprises.
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Interdire l’IA générative, une bonne idée?
Pour le professeur à la Haute école de gestion de Genève Alexandre Caboussat, certainement pas: "Il s’agit d’une technologie qui est appelée à rester. Rien ne sert de la combattre. L’enjeu consiste surtout à l’encadrer et à en définir les usages problématiques." Un point de vue partagé par Mascha Kurpicz-Briki, professeure en informatique à la Haute école spécialisée bernoise: "Les entreprises doivent définir à quels endroits de leurs processus il est raisonnable d’intégrer l’IA générative, et de quelle manière. Certaines d’entre elles devront par exemple privilégier des outils internes, leurs données ne devant pas être exposées à des tiers via des plateformes web. Quoi qu’il en soit, il est essentiel que les employés soient conscients des risques et des limites de ces technologies, afin de les utiliser de manière responsable et dans l’intérêt de l’entreprise."
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Dernière modification 07.05.2025