L’intelligence artificielle, nouvel eldorado des ressources humaines

Depuis une dizaine d’années, l’informatique s’utilise de plus en plus lors des procédures de recrutement. Cette pratique ne fait toutefois pas l’unanimité. En Suisse, un logiciel tente de réconcilier IA et éthique.

Une jeune femme scannée par la technologie biométrique.

Dans le domaine des ressources humaines (RH), l’informatique a d’abord montré son potentiel en permettant la présélection des dossiers de candidature les plus prometteurs. Plus tard, certaines grandes structures ont aussi commencé à l’utiliser pour conduire des entretiens d’embauche vidéo. Cette évolution a permis de réduire drastiquement le nombre d’entretiens en tête à tête mobilisant des spécialistes RH, ainsi que d’effectuer des choix plus éclairés, exempts de biais d’évaluation humains.

Pourtant, la méthode a vite montré ses limites. Dès 2015, Amazon constate par exemple que son logiciel de tri des CV favorise les candidatures masculines, reproduisant ainsi les biais qu’il est censé minimiser. Début 2020, la plateforme de recrutement vidéo HireVue déclare également renoncer à l’analyse faciale, de peur que l’IA ait intégré des biais racistes.

"D’un point de vue juridique, le plus gros risque émanant de cette technologie reste qu’elle commette une discrimination", indique Prisca Quadroni-Renella, avocate spécialisée dans l’intelligence artificielle. "Bien sûr, personne n’est à l’abri d’une discrimination commise par un être humain. Mais au vu de l’échelle à laquelle les IA sont déployées et du nombre de dossiers traités, les conséquences peuvent se révéler d’autant plus graves." Certaines pratiques RH intégrant de nouvelles technologies ont manifestement été adoptées sans le recul nécessaire. Mais le recours à l’IA dans le recrutement doit-il pour autant être totalement écarté?

Remettre l’humain au centre

"L’objectif consiste à permettre au candidat de se révéler tel qu’il est, sans risquer d’être mal compris ou interprété," précise Caroline Matteucci. Cette ancienne inspectrice de la police de sûreté reconvertie dans le profilage a fondé, en 2017, l’entreprise CM Profiling. Son produit phare, baptisé "Cryfe", est un logiciel qui permet d’analyser les expressions faciales et le langage corporel lors d’entretiens d’embauche. Il a été développé en collaboration avec la Haute École d'ingénierie et d'architecture de Fribourg (HEIA-FR) et l’Institut de recherche Idiap à Martigny.

Afin d’éviter les bévues rencontrées par les géants comme Amazon ou HireVue, l’entreprise installée à Muri (BE) a voulu élaborer une solution qui combine les interventions informatiques et humaines. "Il ne s’agit pas d’envoyer la vidéo de l’entretien à une machine pour qu’elle l’analyse froidement et rende sa décision, explique Caroline Matteucci. La solution ne fonctionne qu’en binôme, avec un spécialiste en ressources humaines et l’IA, qui constitue une aide afin de repérer les incongruences entre le langage parlé et le langage corporel."

La machine analyse en direct les expressions verbales et non verbales (expressions faciales, timbre de voix et gestuelle) dans l’objectif de permettre au personnel RH une compréhension plus globale des réponses des candidats et de limiter le risque d’impressions biaisées.

Simple d’utilisation

"Le logiciel demande une certaine adaptation, reconnaît Carole Piller, directrice de l’agence de placement RH Valjob à Fribourg. Mais l’achat de Cryfe comprend une formation qui permet une bonne prise en main."

La PME fribourgeoise a été la première à utiliser le logiciel lors d’une phase test. "Pour le candidat, la méthode est relativement peu contraignante, il suffit d’accepter de se faire filmer et de montrer ses mains – la machine analysant également la gestuelle. En dehors de cela, il s’agit d’un entretien d’embauche tout à fait ordinaire", poursuit Carole Piller. Le logiciel donne toutefois la possibilité au recruteur de revenir sur un passage de l’entretien, dans le cas où une expression corporelle détectée par le système ne semble pas concorder avec les dires du candidat. "La machine est d’une grande aide dans la mesure où elle permet de détecter des détails qui nous échappent", ajoute la directrice.

"En pondérant les impressions de l’humain et l’analyse de la machine, il s’agit de réduire les biais au maximum de part et d’autre, ajoute Caroline Matteucci. D’ailleurs, son utilité ne se limite pas au recrutement de personnel. Il serait aussi possible de l’appliquer dans le cadre d’examens psychiatriques, toujours dans une optique d’assistance à l’observation humaine."

L’avocate Prisca Quadroni-Renella se déclare en principe favorable à ces différents types d’utilisation de l’IA. "Le fait qu’un logiciel apporte une aide, comme pourrait le faire un collègue, par exemple, mais ne soit pas le seul maître à bord, constitue un excellent point. L’enjeu sera toutefois de s’assurer que les opérateurs soient correctement formés et, si besoin, supervisés."


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IA et éthique, un enjeu insoluble?

Encore peu réglementée, l’intelligence artificielle fait aujourd’hui l’objet d’une nouvelle proposition de règlement au sein de l’Union européenne. Le texte classe d’ailleurs l’analyse faciale comme une pratique "à haut risque". En Suisse, le droit est pour l’instant plus souple, mais les considérations éthiques promettent d’animer le débat ces prochaines années. "En l’absence de règlementation contraignante au niveau légal, il peut être utile de mener une réflexion éthique, en se demandant si telle ou telle pratique est bien conforme aux valeurs de l’entreprise, avant d’y recourir", souligne Prisca Quadroni-Renella, avocate spécialisée dans l’intelligence artificielle.

S’agissant de l’analyse comportementale à l’embauche, la juriste tessinoise s’inquiète tout de même de potentielles intrusions dans la sphère privée. "Prenez quelqu’un qui souffre d’un trouble autistique ou de l’attention – certains l’ignorent même eux-mêmes. Si une IA permet de le révéler à l’insu de la personne, alors il y a un véritable problème éthique. D’autant que certaines entreprises pourraient tout à fait se servir de cette technologie pour revendre des données sous une forme anonyme, la loi les autorisant, sous certaines conditions, à les utiliser à des fins pécuniaires."

Dernière modification 05.04.2023

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