Le "management by objectives" se voit remis en question. Plusieurs entreprises suisses cessent d’y recourir. Pour quelles raisons? Quelles sont les alternatives? Explications de Ralf Metz et Andreas Messerli.
La direction par objectifs, aussi connue sous l’appellation anglophone management by objectives/MBO, est fermement implantée dans les entreprises. Ce concept élaboré aux Etats-Unis dans les années 1950 consiste, au sein d’une organisation, à fixer des buts quantitatifs ou qualitatifs à atteindre au cours d’une période déterminée. Pour valider ces objectifs, les évaluations annuelles de performance des collaborateurs sont une composante importante de ce système de management. Mais aujourd’hui, des sociétés suisses comme la Banque cantonale de Zurich ou le fabricant de logiciels Avaloq abandonnent ce modèle. Ralf Metz et Andreas Messerli, directeurs du bureau de coaching pour organisations Me&Me, livrent leur analyse de cette évolution.
Le management par objectifs est remis en question. Pourquoi ces critiques?
Ralf Metz: Certains employés et cadres n’apprécient pas ce système, car il génère beaucoup de frustration et de douleur: personne n’aime être évalué et noté comme à l’école. Les dirigeants ont aussi réalisé que passer chaque année des heures et des jours à fixer des objectifs et à analyser s’ils ont été atteints n’apporte pas les bénéfices escomptés.
Il s’agit d’un système du passé. Avec la numérisation, le monde change de plus en plus rapidement. Arrêter des buts sur une base annuelle ne fait plus vraiment sens. Par ailleurs, la direction par objectifs a été initialement pensée pour soutenir les collaborateurs et les inciter à bien faire les choses. Mais elle sert désormais surtout à les surveiller, les contrôler, à collecter des informations et à se débarrasser des éléments qui, soi-disant, ne sont pas assez performants. Connecter le système à l’octroi de bonus l’a conduit à sa perte. Le focus de l’employé n’est plus son développement, mais l’atteinte de buts (même s’ils ne sont pas bons) pour obtenir une bonne évaluation et une prime.
Qu’implique l’abandon de la direction par objectifs?
Andreas Messerli: Elle se trouve au cœur des entreprises depuis des décennies et a de multiples implications. S’en débarrasser engage un changement de paradigme radical, qui doit se traduire par une évolution de l’état d’esprit des dirigeants. Ils doivent laisser derrière eux la notion de contrôle des collaborateurs. Il faut aussi accepter l’idée qu’un cadre ne sait pas forcément mieux les choses que le reste des salariés: la prise de décision doit être partagée entre les collaborateurs, pour combler le fossé entre "ceux qui dirigent" et "ceux qui travaillent".
Quelle forme ce nouveau style de management peut-il prendre concrètement?
Andreas Messerli: Nous proposons de changer la manière dont les objectifs sont définis, en passant d’une approche top-down (du haut vers le bas) à une approche bottom-up (du bas vers le haut). Le rôle de chaque unité de l’entreprise est défini en commun. Les managers sont remplacés par des "leaders" qui peuvent être des personnes différentes selon les besoins d’un projet. Leur fonction principale est de soutenir une équipe dans leur travail. Tout le système repose alors sur la confiance et sur la conviction que chaque individu prend les bonnes décisions pour l’entreprise.
Revoir son modèle de management est-il plus facile pour une PME?
Ralf Metz: Techniquement, cela est certainement plus simple que dans une grande entreprise. Dans les PME, la hiérarchie est moins stricte, mais le patron centralise souvent beaucoup de pouvoir. Il doit donc être prêt à changer son état d’esprit et énoncer clairement ses motivations. S’il souhaite abandonner ce mode de fonctionnement uniquement pour gagner en efficience et économiser en personnel, cela risque de ne pas fonctionner.
Est-il possible de procéder par étapes?
Ralf Metz: Oui. Il ne faut pas nécessairement tout changer d’un coup. Dans un premier temps, une option consiste par exemple à modifier le processus d’analyse des performances en augmentant leur fréquence. Des discussions pour savoir où l’on en est sur un projet et où l’on va, peuvent avoir lieu plus fréquemment.
Andreas Messerli: Un cran plus loin, on peut aussi donner plus d’importance au travail de groupe et laisser les membres de l’équipe fixer les objectifs. On peut alors considérer de remplacer les objectifs individuels par des objectifs d’équipe, par exemple.